Chapitre 2

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Le lendemain, Miniel remit la milli-thaum à Daniel comme el l’avait promis. Ravit, la domination invita la vertu à l’accompagner sur le monde-fleur Scarla, où el recevrait sa greffe de cœur. Mais s’y rendre ne serait pas facile. En tant que déserteur, Miniel était recherché. Et les ophanim, les élohim-scruteurs, étaient partout là-dehors. Els maintenaient une surveillance absolue dans la capitale, préservant ainsi le Palais d’Argent et le Grand Architecte de tout danger, de toute corruption. 

— J’ai corrompu un des gardes-frontières, annonça fièrement Daniel. El a fourni pour toi un laissez-passer. Et puis, je sais que tu es déguisé. Les ophanim ne te reconnaitront pas, si ?

— Je suppose que si mon laissez-passer est en règle…

Le jour du départ, Miniel présenta une petite carte dorée à la puissance qui se dressait devant l'immense vaisseau de transport public.

— Destination ? demanda le garde.

— Scarla, répondit Miniel.

La puissance étudia longuement le visage de Miniel, et son halo. El remarqua aussi son exosquelette, mal caché sous son long manteau. La nervosité enserra le cœur solitaire de la vertu lorsque la puissance appela un ophana. Ce dernier, fait de deux grandes roues couvertes d'yeux, scanna Miniel de bas en haut. 

— Vertu Miniel de 69ème génération, lut-el dans le halo de la vertu. Votre halo scintille bizarrement. Que vous est-il arrivé ?

— Je suis un vétéran de la chapelle Milicent, mentit Miniel en luttant pour garder une voix assurée. J'ai été gravement blessé au combat. C’est pourquoi ma lumière est vacillante. 

— Que faites-vous ici ? questionna l'ophana. Pourquoi allez-vous à Scarla ?

— Je suis tisseur pour la chapelle Hypocras. J’ai une mission…

— Vous n'êtes pas dans leurs registres. Je répète ma question. Pourquoi allez-vous à Scarla ?

— Pour un voyage d'affaires, affirma Miniel.

— Votre halo trahit vos mensonges, vertu, avertit l'ophana alors que ses roues tournoyaient sous l'agacement.

Derrière Miniel, des élohim se mirent à grogner, pressés d'entrer dans le vaisseau. La vertu se figea. Par EL, je n'aurais jamais dû accepter cette offre

— Veuillez me suivre, ordonna alors une deuxième puissance. 

El attrapa Miniel par le bras et l'entraîna en direction du poste de douane, une tour carrée faite de briques d'argent. A l'intérieur se trouvait un vaste hall, remplit d’échos de voix agacées et des cliquetis des ophanim. De nombreux agents travaillaient ici, sur des crist-ordinateurs, traitant les demandes des voyageurs qui faisaient de longues heures de queue pour obtenir un laisser-passer. La foule était attentivement scrutée par des dizaines d'ophanim installés juste sous un plafond de verre. La puissance emmena Miniel, qui n'osait plus respirer, dans un petit bureau, autour duquel els s’assirent.

— Désolé. Je m'éloigne deux minutes et c'est là que vous débarquez, ria alors le soldat. 

Miniel ouvrit grand les yeux. La puissance retira son casque et là, el reconnut sa lumière. C’était son client ! La puissance qui avait eu le problème d'impuissance. La vertu se détendit, souffla. Mais le garde le scruta avec avidité.

— Que voulez-vous ? demanda Miniel. Daniel vous a donné ce que vous vouliez. Pourquoi mon laissez-passer n’a-t-el pas fonctionné ?

— J’ai apprécié votre service, vertu, scanda la puissance. Mais j’aimerais que vous me tissiez vite fait d’autres talismans… avant que je ne vous laisse partir. 

— Pourquoi faire ? demanda Miniel. Le talisman que je vous ai tissé durera éternellement.

— Je sais. Mais j’aimerais en avoir d’autres, me faire un peu de stock à distribuer moi-même. Vous comprenez ? En échange, je vous laisserai partir à Scarla, promis.

Miniel serra les dents, réprimant son indignation.

— Je ne travaille que pour Daniel, avertit Miniel. Si vous voulez renégocier votre accord, vous devez voir avec el.

— Daniel n’est pas là. Et el n’est pas non plus celui qui a tissé le talisman. Cet accord, c’est entre vous et moi. Allons, ne faites pas cette tête. Je ne vous demande pas grand-chose. Juste une centaine de talismans contre l’impuissance, et contre la gueule de bois aussi. J’ai vu à quelle vitesse vous les avez tissés la dernière fois…

— Vous êtes décadent ! laissa échapper Miniel.

— Et vous êtes retenu ici tant que vous n’aurez pas tissé ce que je demande, rétorqua le soldat. 

Miniel soupira. El savait exactement comment les choses allaient finir. El aurait beau tisser autant de thaumaturgies qu’el voudrait, le soldat ne le laisserait jamais partir. L’avidité de certains élohim face à ses talents était sans limites. Contourner les rationnements de la Chapelle était une opportunité trop précieuse pour un soldat qui, face à la guerre qui arrivait, n’avait sûrement rien à perdre. Miniel n’aurait jamais dû préparer la thaum devant el. Installé confortablement dans le bureau offert par Daniel, el avait négligé des principes de précaution élémentaires.

Mais sa collaboration avec un trafiquant comme Daniel avait un avantage. Miniel se connecta furtivement au réseau EL et envoya le signal. En quelques minutes, la domination entra dans le bureau comme si de rien était. 

— Mange ta main, ordonna-t-el au soldat.

Miniel frémit. Par son pouvoir de Domination, propre à son chœur, Daniel avait utilisé sa voix pour contraindre la puissance à obéir. Ce dernier s'exécuta donc, mordant bien malgré el sa propre main. 

— Stupide éloha, cracha Daniel en le voyant faire. Allez, vient, dit-el à Miniel.

La vertu suivit la domination sur le tarmac, vers le vaisseau. Lorsque Miniel présenta sa nouvelle carte, on le laissa passer sans encombre. Mais Daniel n'embarqua pas. 

— Je dois régler une dernière chose avec le barman avant de partir, dit-el. Si je ne reviens pas avant le départ, ne m'attendez pas. Je prendrai le prochain. 

— Non, reste avec moi, dit Miniel, la mine préoccupée. 

— Je fais le plus vite possible.

Miniel grimaça. Son cœur se serra douloureusement. El sentit alors une quinte de toux venir et entra précipitamment dans le vaisseau. El se retourna. Trop tard, Daniel était parti. 

Le vaisseau était haut, sphérique. L'entrée donnait accès à un petit puits qui, d'un battement d'aile, menait à une cabine qui pouvait accueillir environ un millier d'élohim. Miniel progressa dans l'allée centrale, observant chaque passager d'un regard chétif et anxieux, la mine baissée pour ne pas se faire remarquer. El repéra son siège et s'y installa en soupirant. 

Le vaisseau était surplombé par une baie vitrée en dôme, qui offrait une vue spacieuse sur les environs. En jetant un regard à l'extérieur, Miniel vit une grande esplanade en contrebas du tarmac, où des puissances par millier affluaient dans des nuées d'ailes rouges. La vertu fut un instant subjuguée face à l'ampleur de la foule. Tous les soldats qui progressaient là étaient vêtus de toges mauves par-dessus leurs armures étincelantes. Leurs lances étaient ornées de fleurs violettes. Au bout de la procession, une grande statue était érigée, celle d'un ange majestueux pourfendant les airs une lance à la main. Miniel ne put s'empêcher de sourire. Quelle drôle de représentation. Un ange guerrier ? Les anges étaient des cultivateurs d'âmes, les braves paysans de la Création. Els ne combattaient pas, jamais, sauf… lors de la Seconde Brisure. Il y a six mille ans, cette seconde brisure cataclysmique avait terrassé toutes les forces armées des élohim, laissant les civils, donc les anges, se défendre seuls. Un souvenir remonta à l’esprit de Miniel. 

Les anges sont des paysans, mais els ont quand même gagné. Leur Père, le Grand Architecte, règne maintenant sur les Cieux et leur plus grand héros, Aradim, sur Tiphéreth. C’est pourquoi la Milice leur rend souvent hommage. 

Dans la foule processionnaire se mêlaient des puissances de toutes les générations, de tous grades. Contrairement à leurs habitudes martiales, els ne se déplaçaient ni en rang ni en ordre de marche et étaient mélangés toutes ensemble dans une mer de halos, une galaxie d'étoiles aux luminosités très inégales. Cette vue semblait être un rêve absurde, bien loin de l'ordre qui caractérisait la Milice. Aujourd'hui, les puissances étaient presque aussi libres et folles que les anges pèlerins qui se rendaient en chantant au Palais d'Argent. 

Au loin, Miniel vit que des puissances commémoratrices guidaient tout de même les nuées de soldats par leurs chants. Les commémorateurs préservaient la mémoire des miliciens et de leurs combats depuis l'aube du Tikkun. Els étaient reconnaissables aux longues robes qu'els portaient sous leurs armures. Leur couleur habituellement rouge avait, elle aussi, viré au mauve. Des anges arriveraient sans doute bientôt, une fois que la cérémonie des puissances se serait achevée. 

— Hé ho !? Vous pouvez avancer s'il vous plaît ? râla un éloha dans l'allée centrale.

Miniel repéra Daniel. Les yeux grands ouverts, la domination captait des images de la procession, figé dans l'allée, gênant le passage des autres passagers. Stockées dans son esprit, el pourrait plus tard les revisionner et les partager via le réseau EL. Daniel finit sa captation et rejoignit Miniel. 

— Tu filmes quoi ? demanda la vertu. 

— Je fais une petite étude de marché, s'amusa Daniel, en indiquant du doigt la procession des puissances à l'extérieur. Beaucoup de nos clients sont là aujourd'hui. Nos soldats mal aidés, mal soignés… Tu sais ce qu'els font ?

— Els célèbrent la victoire d'Aradim Fitzarch sur l'Abomination des Siècles Perdus, répondit Miniel du tac au tac, la mine pensive.

— "Aradim Fitzarch" ! s'exclama Daniel. Notre Seigneur, souverain de Tiphéreth ! El va passer nous voir dans quelques jours, tu sais ?

— Oui. Mais je pense qu'el vient, non pour nous voir, mais pour être vu. 

Daniel fit une moue pensive avant d'acquiescer. S'installant aux côtés de Miniel, el lui dit :

— Désolé pour le désagrément de tout à l’heure. Mais bon, comme tu l’as vu, je sais gérer cela. Tu seras en sécurité avec moi. 

— J’espère, soupira Miniel. Il va falloir redoubler de prudence, même pour des thaumaturgies anecdotiques. 

— Tu souhaites donc toujours collaborer avec moi ? sourit Daniel. 

Miniel recula dans son siège. La mine imperturbée, el déclara :

— J'ai “lu entre les étoiles”. J'ai analysé ta personnalité, pesé le pour et le contre, évalué les risques. Et j'ai déterminé que c'était la meilleure voie à suivre pour moi. 

Amusé, Daniel leva les yeux au ciel.

— Tu as été suffisamment attentif pour constater qu'il me manque un cœur, toussota Miniel. Tu m'as promis une greffe. Une fois que j'aurai bénéficié de cela, et seulement là, je continuerai de travailler pour toi, ton… organisation, pour te remercier. Tu me confirmes que cela va se faire ?

— Naturellement, dit Daniel. Je ne vais pas te laisser dans cet état. Je ne sais quelle force te permet encore de tisser quoi que ce soit. Surtout une mili-thaum.

— L'instinct de survie, répondit Miniel. Il me faut survivre, me reconstruire surtout, en dehors de la Chapelle. Une fois que j'aurai payé ma dette envers toi, je continuerai mon chemin.

— Avec moi ? N'est-ce pas ? fit alors Daniel, perturbé. Moi, je veux que notre collaboration dure longtemps. 

Miniel sourit, masquant une vague de mépris.

Je ne vais pas tisser de stupides thaums pour tes stupides clients pour toujours, voulu-t-el dire, soudain très irrité. Mais el se retint.

— Je ne peux pas rester au même endroit trop longtemps Daniel. Je suis… un fugitif, un déserteur. 

— Je te cacherai ! Ne t'en fais pas ! Moi aussi je dois bouger… pour les affaires.

— Pour fuir la Milice, oui, ajouta Miniel.

— Ensemble dans une vie de délit, chantonna Daniel. 

La domination leva soudain deux verres de jus de grenade, colorés de mauve, qu'el avait surement dégoté auprès du barman. El en tendit un à Miniel. 

— Que la boisson partagée signe notre alliance, déclama Daniel. Qu'elle soit bénie par notre seigneur Aradim, par le Grand Architecte et par EL notre Créateur. 

— Nous sommes des trafiquants de thaums Daniel…

— Tu dis déjà "nous" ! J'aime ça ! Tu as l'esprit d'équipe !



Daniel tint sa promesse. El fit opérer Miniel par un chirurgien clandestin, mais talentueux. La jeune vertu récupéra ainsi son cœur manquant et sa santé. Daniel le cacha de nouveau dans un club, où el entama sa convalescence. Mais un jour, Daniel vint le chercher avec une mauvaise nouvelle. La milli-thaum qu’el avait conçu avant d’arriver ici avait été l’objet d’une réclamation de la part des clients. El leur avait donc donné rendez-vous non loin, dans un lieu tenu secret.

— Par EL, els se foutent de moi, marmonnait Daniel.

— Els se sont déplacés jusqu’ici, soupira Miniel. Ça doit être important. 

La domination marchait à toute vitesse dans le couloir feutré, ses pas rythmés par la mélodie du dancefloor. Miniel le suivait, un peu à la traine, porté par des suspenseurs qui préservaient son corps fragilisé de tout choc. El soufflait doucement, observait les longs couloirs de cet endroit inconnu, luttant contre l'envie de s'enfuir. Des anges par centaines allaient et venaient à toute vitesse, leurs halos mauves crépitants, les yeux fous. Els bousculaient Miniel, qui luttait pour léviter droit. 

Après quelques minutes, Daniel franchit une porte et entra dans la grande arène du club. L'hystérie des anges s'abattit sur la domination et sur Miniel, qui gémit face à l'intensité lumineuse tout autour. Les chants des fêtards saturèrent son ouïe, mais Daniel, lui, traça vers le bar. Posé sur une plateforme immense, le bar faisait près d'une centaine de mètres de long. Les élohim se pressaient contre pour obtenir des boissons au jus de grenade, distribuées avec parcimonie. Daniel, toujours suivit par Miniel, coupa la queue et trouva son barman. Là, el commanda un Fieri Luminique. Le barman lui tendit un cocktail et Daniel se mit à scruter son contenu avec grande attention. Miniel l'observa non sans crainte. La domination reprit soudainement son chemin et monta vers les galeries de l'arène.

— Où sont-els ? demanda Miniel, préoccupé.

— Dans une loge au sommet, je peux le lire dans la boisson

— D'habitude c'est entre les étoiles que tu lis, non ? fit Miniel, étonné par ce processus. 

Daniel ne répondit pas, continuant son chemin vers les hauteurs à tire-d’aile, esquivant les anges fêtards et turbulents qui valsaient partout. Miniel tourbillonna dans les airs, ses suspenseurs emportés par les courants créés par les autres élohim. Après vingt minutes de vol, le duo atteignit enfin sa destination. Els entrèrent dans une loge privatisée tapissée de fil d'argent du sol au plafond, et s'installèrent devant un large cristal sphérique. Daniel projeta son halo dessus, Miniel fit de même. Là, dans le réseau EL, els virent alors Winiel et Poniel.

— Daniel ! salua l'un d'els. Merci de nous recevoir…

— Que se passe-t-il ? coupa la domination, tendue.

— Notre command'aile a trouvé la mili-thaum, l'évacuateur que Miniel nous a tissé, geignit Winiel. El l'a confisqué.

Miniel sursauta, comme horrifié. 

— Vous vous êtes fait prendre avec la mili-thaum ?! demanda Daniel aux vertus.

— Non, non, fit Poniel. El ne sait pas que c'est nous. Pas encore.

— Nous n'allons pas vous en donner un autre juste parce que vous l'avez perdu ! avertit Daniel.

— Ce n'est pas ça le problème, dit alors Miniel, qui avait mis quelques instants à retrouver ses esprits. Le command'aile va faire étudier la thaum par la Chapelle. Els risquent de remonter jusqu'à eux, donc jusqu’à nous.

Winiel et Poniel acquiescèrent, penaudes. La première osa alors ceci :

— Il faut que vous nous aidiez à récupérer la thaum. Si vous ne nous aidez pas, nous vous dénoncerons aux autorités. Si on coule, vous coulez. 

Daniel se leva, bouillonnant de rage. 

— Vous avez du culot pour les misérables étincelles que vous êtes !

— Tu n'es pas beaucoup plus brillant que nous, rétorqua Winiel. Mais ton ami là, ça se voit qu'el brille fort, même s'el le cache. 

Daniel se retourna vers Miniel. El entraîna alors son collaborateur dans le couloir, abandonnant quelques instants ses clients et leur chantage. Isolé, Daniel interrogea Miniel.

— Els ne pourront pas nous tracer, si ? 

— Ma lumière est dans cette thaum, expliqua Miniel. Si els nous retrouvent, notre culpabilité sera établie.

— Tu n'as pas masqué l'origine de la thaum ? Effacé la trace de sa fabrication ?

— Masqué ? Non, ce n'est pas possible de masquer ça.

— Mais c'est toi qui l'as tissée !

— Nous les vertus, tissons avec notre propre lumière. Notre matériau vient de notre essence même. Ce n'est pas falsifiable. Tu devrais le savoir !

— Je pensais que c’était falsifiable… Rah ! Je n'ai échangé que quelques mili-thaums auparavant ! se défendit Daniel. Tu aurais dû me le dire que ces thaums là sont… comme ça ! 

— Toutes les thaums sont comme ça ! s'énerva Miniel. Toutes ! Tu ne le savais pas parce que les potions que tu trafiques d'habitude sont inoffensives. Si les mili-thaums sont rares sur le marché noir, c'est pour une bonne raison ! Quand elles sont découvertes, les autorités lancent des enquêtes très agressives. Tu n'as pas étudié ton marché avant de te lancer là-dedans ?

— Si, bien sûr, mais j'ai mal interprété tes capacités, ou ton art, protesta Daniel. 

— Tu n’as pas étudié ton marché suffisamment bien !

— Et toi ? Si tu sais que ce commerce est si risqué, pourquoi tu participes ?! 

— J'ai pris un gros risque pour le cœur que tu m'as promis. 

— Et que je t'ai donné ! fit Daniel.

La domination soupira, secouant la tête. El reprit son cocktail et l'usa encore pour deviner l'avenir. 

— Tu peux désactiver la thaum ? Effacer ta trace ?

— Je peux la détruire, dit Miniel. Si je l'ai entre les mains. 

Daniel soupira.

— La thaum ne doit pas être récupérable facilement, comprit la domination. Sinon nous n'en serions pas là. Il nous faut aller la chercher, monter une infiltration.

— Tu sais de quoi tu parles ? demanda Miniel. 

— Ça ne serait pas mon premier rodéo, affirma Daniel. Mais tu dois venir… dans ton état… Si seulement nous avions eu quelques jours de plus… La récupération pour une telle opération est longue...

Miniel posa une main sur ses cœurs et força un sourire.

— On a pas trop le choix, non ? La milice de la Chapelle sera bientôt à nos trousses. 

— Et si nous nous cachions ? Nous pourrions quitter la capitale quelque temps…

— Non, je ne peux pas quitter Shemesh.

Daniel prit soudain les mains de Miniel dans les siennes. 

— Nous pouvons fuir, reconstruire notre petite entreprise ailleurs. J'ai des contacts dans bien des provinces.

Miniel retira brusquement ses mains.

— Je dois rester ici, insista la vertu. Je le dois. 

— Pourquoi ?

Miniel recula, oppressé par le piège qui se tendait autour d'el. 

— Je dois rester ici, sur les mondes-fleurs de Shemesh, pas loin du Palais d'Argent. C'est tout ce que tu as besoin de savoir. Je vais donc aller chercher cette maudite thaum, avec ou sans toi.



Le soir même, Daniel emmena Miniel au plus profond du club dansant où els résidaient à Scarla. Là, els entrèrent dans un ascenseur sombre et froid. Daniel poussant les boutons de plusieurs étages, comme s’el entrait un code. L'ascenseur descendit de longues minutes avant de s’arrêter. 

— Les portes ne s’ouvrent pas ? demanda Miniel.

— On doit attendre, répondit Daniel. 

— On attend qui exactement ?

— Je te l’ai dit, un de mes contacts. Avec un peu de chance, el pourra nous aider à récupérer la thaum. 

Miniel et Daniel finirent par s’assoir sur le sol de l’ascenseur, sous une lumière glaçante. Els regardèrent le plafond, luttant contre la claustrophobie. 

— Dis-m'en plus, demanda Miniel, impatient. 

— Je préfère éviter. 

— Pourquoi ?

— Avec ces gens-là, moins t’en sais, mieux tu te portes. 

— Toi-même tu ne sais pas grand-chose alors ?

Daniel soupira.

— La personne que nous allons rencontrer fait partie d’un groupe de hackeurs, de spécialistes du réseau EL et des réseaux privés. Tu vois le genre ?

— Des chérubins ?

Daniel haussa les épaules. Presque une heure passa, durant laquelle les deux élohim se trouvèrent incapables de se connecter au réseau EL. Saoulé par l’ennui, Miniel scruta les moindres recoins de l’ascenseur. El cru voir quelque chose bouger sur le plafond. Grâce à ses suspenseurs, el se leva d’un bon, tendit les bras pour toucher la paroi. 

— Tu fais quoi ? demanda Daniel.

— Els nous observent, répondit Miniel. 

— Sans doute, mais sois patient. 

— Je n’aime pas ça.

La jeune vertu tira sur le plafond de l'ascenseur, malgré les protestations de Daniel. El finit par arracher un panel, révélant par-dessus une plaque cristalline noire. Miniel passa la main dessus, puis se figea. 

— Arrête ! pesta Daniel en tirant Miniel vers le sol. Tu vas nous attirer des ennuis !

Miniel retomba brutalement et grogna de douleur. Son exosquelette grinça. 

— Je ne peux pas collaborer avec n’importe qui, gronda-t-el, la voix étouffée par l’appréhension. 

— Fais-moi confiance, soupira Daniel. 

C’est alors qu’un bruit résonna dans la cage d’ascenseur. Les portes s’ouvrirent enfin, sur un inconnu. 

— Néa ! s’exclama Daniel, entre crainte et soulagement. 

— Désolé, j’ai mis du temps à venir. Nous ne sommes pas ici en ce moment. 

Miniel observa Néa, les yeux remplis de méfiance. Néa le remarqua, sourit. El était couvert de la tête aux pieds d’une combinaison noire qui ne laissait entrevoir que son visage. Son halo blanc était étrangement fixe, son scintillement inexistant. Miniel ne sut même pas dire à quel chœur Néa appartenait. 

— Suivez-moi, ordonna ce dernier. 

Néa conduisit ses invités à travers un labyrinthe de cristal luisant. Miniel observa les lueurs qui passaient à l’intérieur, des tâches, des rayons colorés, chacun une pensée élohienne télépathique stockée là. El n’avait jamais vu une telle structure. El eut l’impression de se trouver à l’intérieur d’une machine de cristal, dans l’un de ces systèmes qui composaient l’infrastructure du réseau EL. 

— Ce n’est pas une impression, répondit Daniel, qui avait deviné les pensées de Miniel. Nous sommes dans un entrepôt de serveurs. 

— Que faites-vous ici ? demanda Miniel à Néa. Qui êtes-vous ?

Néa ne répondit pas, se contentant de sourire. 

— Néa est simplement un fugitif comme toi, révéla alors Daniel. Nous avons travaillé ensemble par le passé. El va nous aider à récupérer la thaum. N’est-ce pas ?

— Je vais voir ce que je peux faire pour vous, soupira Néa. J’ai suivi votre petite conversation avec les clients. Tu as été très imprudent Daniel.

— Tu as espionné notre conversation ? s’inquiéta Miniel. 

— C’est moi qui ai fourni à Daniel ses moyens de communications privées. Cela vient avec… un certain suivit de ma part. 

— Néa me conseille régulièrement, avoua Daniel. 

— C’est de lui que tu devrais te méfier, s’amusa alors Néa, s’adressant à Miniel. Que t’as t-el dit ? Qu’el est un trafiquant expérimenté, mmh ?

— Je suis un trafiquant expérimenté ! protesta Daniel. 

— Tu n’es qu’un enfant qui se croit capable de nager dans le bassin des grands. Tu aurais dû te limiter aux potions contre l’impuissance. 

Daniel râla. Néa et ses invités arrivèrent enfin dans une pièce tamisée, emplie de machines de cristal telles que Miniel n’en avait jamais vu. Des dizaines d’écrans holographiques affichaient des données dans un langage inconnu. Néa s’installa sur un divan de soie, qui lui fut familier à Miniel. C’était une œuvre de la maison de design Zorah, qui fournissait traditionnellement les gynécées des azohim. Il y en avait plusieurs. Que faisaient de tels meubles ici ? Installé, Néa pianota quelque chose sur un clavier de ses doigts délicats, alors que Daniel et Miniel s’asseyaient à leur tour. 

— Avez-vous une idée d’où se trouve la mili-thaum ? demanda Néa.

— J’ai un ensemble d’informations qu’il faut que je recoupe pour le deviner, expliqua Daniel. Pour cela aussi, j’ai besoin de ton aide. 

Néa acquiesça. 

— Allongez-vous, ordonna Néa.

Daniel et Miniel s’allongèrent sur les divans. Néa plaça sur leurs têtes deux casques en cristal. 

— Vous allez plonger anonymement dans le réseau EL pour y brasser vos informations avec celles qui circulent actuellement, expliqua Néa. Je vais vous guider vers les flux les plus pertinents. Ainsi, vous ne vous noierez pas. 

— Miniel doit el aussi participer ? s’étonna Daniel. El n’est pas capable de lire entre les étoiles. À quoi cela va-t-il servir ? 

— Cela me servira à moi, annonça Néa d’un ton ferme. 

Miniel n’eut pas le temps de poser des questions. Sa vision se brouilla pour soudain plonger dans une galaxie dorée. Des milliards de petites étoiles apparurent devant el, dans un tourbillon d’informations. D’innombrables pensées circulaient entre ces étoiles, des paroles, des images, des musiques. Miniel les percevait sans les consommer, sans les recevoir. C’était comme quant el naviguait dans le réseau EL, mais ici, sa vision était bien plus large. El voyait l’activité de tout le monde-fleur Scarla, percevait tous les flux, toutes les circulations. Comme sur une carte, el voyait l'ensemble du réseau du monde, en direct, dans sa forme quand dans son contenu. 

Miniel ne sut que faire avec toutes ces informations, mais Daniel, lui, œuvrait à toute vitesse. El attrapait tous les contenus qui lui semblaient pertinents, capturant les vies de certains élohim bien choisis pour déduire à travers leurs sens où se cachait la mili-thaum. Winiel et Poniel faisaient partie de cette étude, mais aussi leur supérieur, et toutes ses relations. Ses mouvements, ses communications, furent passées au peigne fin par la domination, qui se construisit peu à peu des scénarios qui mèneraient à la thaum. Miniel réalisa alors que Daniel explorer des communications privées comme public, sans se heurter aux systèmes de cryptage ou de sécurité qui protégeaient habituellement la confidentialité de certains échanges dans le réseau. Comment était-ce possible ? 

Miniel chercha alors trace de Néa. C’était el le hackeur, n’est-ce pas ? Celui capable d’accéder à toutes ces informations. Comment était-el parvenu à outrepasser toutes les limites posées dans le réseau ? Cela semblait si facile de naviguer ainsi. Après de longues minutes, Daniel finit par déduire le scénario le plus probable.

— La mili-thaum est sur le monde fleur Caducée, au siège de la Chapelle Hypocras. Les autorités se préparent à l’étudier là-bas. 

— Hypocras ? s’étonna Néa. Pourquoi pas Milicent ?

— Bonne question, dit Daniel. 

Hypocras était la Chapelle dédiée à la santé des élohim, et Milicent, celle dédiée aux thaumaturgies militaires. 

— Il semble que la thaum est stockée dans l’institut d’études d’Hypocras en attendant d’être transférée chez Milicent, expliqua Daniel. Mes clients étaient d’Hypocras…

— Je vois, dit Néa. C’est une bonne chose. Hypocras sera bien plus simple à infiltrer que Milicent. Nous devons faire vite.

— Oui. Nous avons quarante-huit heures au maximum avant que la thaum ne parte chez Milicent. 

La panique gagna Miniel. Si peu de temps… La jeune vertu attrapa son casque et chercha à le retirer. Cela ne fut pas facile, mais à force de tirer, el y parvint. El vit alors Néa, assis face à une machine de cristal. Ses mains étaient plongées à l’intérieur. Non pas dans un orifice, mais littéralement, dans la machine, dans le cristal. Le peu de peau exposé de Néa, notamment son visage, luisait comme la machine elle-même. C’est là que Michaël comprit. Néa était fait de cristal. Néa était une azoha. 

Miniel se redressa, effrayé. Néa se retourna et lui sourit, posant un doigt devant sa bouche, lui ordonnant de garder son secret. Daniel se leva à son tour, empressé. 

— EL soit loué, sourit-el. Aradim va passer à Caducée demain tout pile ! 

— En quoi est-ce une bonne nouvelle ? demanda Miniel, affolé. 

— Ça va être le chaos ! Un chaos comme jamais Caducée n’en a connu depuis la Seconde Brisure ! Le chaos est une échelle Miniel ! Nous allons pouvoir en profiter pour nous infiltrer !

— Mais, les mesures de sécurité…

— Ça, Néa s’en occupe. 

— Bien, sourit Néa en rangeant les casques. À présent, nous devons élaborer un plan.

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